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L’utilisation d’un véhicule financé par l’indemnité représentative de frais de mandat d’un parlementaire (IRFM) dans le cadre d’une campagne électorale est-elle « indirectement » prohibée ?

Article issu de Les Petites affiches – 19/07/2017 – n° 143 – pages 6-8

ID : LPA128r9
Auteur(s) : Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Permalien : lext.so/LPA128r9

Reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur
La question de l’usage d’un bien financé par l’indemnité, pour le moment forfaitaire, du parlementaire dans le cadre d’une campagne électorale, même si elle ne crée qu’un lien indirect avec la source de financement, risque d’être posée, en dépit des règles restrictives édictées quant à l’usage de cette indemnité.

Suite au constat, en 2012, d’abondements directs d’IRFM au compte de campagne, tous jugés sans prononcé d’inéligibilité par le Conseil constitutionnel, la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 a introduit dans le Code électoral un article L. 52-8-1, disposant que : « Aucun candidat ne peut utiliser, directement ou indirectement, les indemnités et les avantages en nature mis à disposition de leurs membres par les assemblées parlementaires pour couvrir les frais liés à l’exercice de leur mandat ». Certains cas ne révélaient qu’une erreur comptable : par le compte en principe dédié à l’IRFM avaient transité des sommes provenant d’un apport personnel du candidat, et dès lors que celui-ci pouvait en prouver l’origine et le montant, cette erreur était sans incidence1. D’autres cas présentaient en revanche un manquement de fond, l’indemnité ayant financé le compte de campagne. L’IRFM, dotation publique, ne peut financer une campagne électorale, et de ce fait, le compte de campagne a été annulé, ce qui prive les intéressés de remboursement forfaitaire. Le silence du Code électoral a permis au Conseil constitutionnel de ne pas aller au-delà et de ne pas prononcer d’inéligibilité. À ce silence, l’article L. 52-8-1 du code met fin, et le dispositif trouve donc à s’appliquer pour la première fois. Les cas que l’on vient de citer donneraient sans doute lieu, désormais, à une appréciation plus sévère du juge, compte tenu de cette explicitation législative

L’usage direct à des fins électorales de l’IRFM, ou du prêt d’honneur financé par celle-ci, étant désormais clairement prohibé, quelle est la portée de la prohibition résultant d’un usage de l’indemnité forfaitaire effectué « indirectement » ? On ne trouve aucune explication de l’introduction de cette mention dans les travaux préparatoires de la loi. Le dispositif, à deux corrections rédactionnelles près, est issu d’un amendement de Jean-Jacques Urvoas (n° 169), rapporteur, en première lecture à l’Assemblée nationale, et fait la distinction entre les indemnités parlementaires et l’IRFM. Compte tenu du fait qu’il s’agit de réaffirmer la jurisprudence, on peut supposer que le mot « indirectement » vise à prohiber un ricochet, c’est-à-dire le financement par l’IRFM d’un prêt finançant à son tour le compte de campagne2.

Le texte de l’article L. 52-8-1 n’est donc pas fait pour interdire l’usage de tout bien acquis dans le cadre du mandat, en période électorale, sauf naturellement si l’usage du bien financé par l’IRFM est lui-même prohibé, ou si cet usage heurte de front la prohibition générale d’un financement par une personne morale.

On peut donc en premier lieu mesurer l’usage prohibé d’un bien financé par l’IRFM pendant une campagne électorale à l’aune des usages interdits de l’IRFM. En revanche, une liste d’usages autorisés résulte par exemple d’une décision du bureau de l’Assemblée nationale du 18 février 20153 :

Ces autorisations ont été reprises dans l’article 32 bis de l’instruction générale du bureau, de façon moins explicite sur certains points4.

Ainsi, il est exclu qu’un local acheté avec l’IRFM, ce qui est désormais prohibé, puisse servir à une campagne électorale. Il résulte également de cette logique que la permanence louée par un parlementaire avec l’IRFM, ce qui est toujours possible, aux fins de l’exercice du mandat ne puisse être simultanément la permanence du candidat. Il est aisé de distinguer le local, utilisé seulement dans le cadre du mandat, du domicile privé ou de la permanence de campagne. Mais les autres dépenses autorisées au titre des frais de mandat, si elles correspondent à des usages quotidiens ou anciens n’appellent sans doute pas une réponse aussi tranchée sous le contrôle du juge de l’élection. Tel est le cas de frais de représentation, s’ils ne sont pas spécifiquement engagés en vue de l’élection, de formation, laquelle sert son bénéficiaire, candidat ou non, ou encore de l’usage d’un véhicule. Ce que l’article L. 52-8 du Code électoral, qui lui aussi peut être en cause, vise à interdire à cet égard, c’est la mobilisation de moyens publics en vue de l’élection, non l’usage ordinaire de moyens existants. Tel est, nous semble-il, le cas du véhicule acquis au moyen de l’IRFM.

Même si le déontologue de l’Assemblée nationale5, prône des formules comme le leasing et déconseille l’achat du véhicule en fin de mandat, il ressort clairement des textes cités ci-dessus que l’IRFM peut être utilisée pour acheter un véhicule. La question peut donc se poser de savoir si l’usage, même occasionnel, d’un véhicule, acheté par financement à partir de l’IRFM peut, pendant une campagne électorale, être considéré comme une utilisation prohibée de l’IRFM à des fins électorales, « indirectement »6.

On incite à répondre négativement à cette question pour trois raisons.

  • D’abord ici ce n’est pas l’IRFM elle-même qui est mobilisée, mais un bien acquis régulièrement avec l’IRFM à des fins d’usage courant : le caractère forfaitaire ne permet pas de distinguer si le parlementaire se déplace en voiture en tant que parlementaire ou en tant qu’individu : comment pourrait-on interdire et même concrètement dissocier un déplacement habituel en voiture lié au mandat et le même trajet personnel ? Si la prohibition indirecte portait non seulement sur le financement proprement dit mais aussi sur des biens acquis, un député pourrait-il au cours de sa campagne porter un costume acquis avec l’IRFM, ou se servir d’une formation acquise par ce biais ? On voit qu’une conception extensive de lien « indirect » risque d’avoir des effets nuisibles au bon déroulement des campagnes. Si l’on veut empêcher tout bien ou service financé par l’IRFM de servir dans une campagne électorale, en seule raison de ce financement, on se heurte à des situations matériellement insolubles ;

  • Ensuite parce que rien ne force, pour la question précise évoquée, un candidat à comptabiliser au titre des frais automobiles autre chose que ses frais d’essence, pour les déplacements exposés dans la circonscription : l’amortissement du véhicule n’est pas a priori une dépense de campagne, comme en témoigne la jurisprudence7 : Mieux encore : les frais d’entretien courant de l’automobile ne sont pas des dépenses exposées en vue de l’élection, notamment les frais de lavage8, contrairement aux seuls frais d’essence. Il serait donc paradoxal de retenir les conditions de financement pour l’amortissement d’un bien alors que l’entretien de ce bien n’est pas une dépense de campagne

  • Enfin, il faut souligner que ces dépenses peuvent être imputées selon deux règles comptables. En effet, et comme rappelé par la décision précitée de 2007, la Commission nationale des comptes de campagne admet deux modalités d’imputation des frais : « Pour pouvoir faire l’objet d’un remboursement de l’État, le mandataire doit avoir procédé au paiement de la dépense faisant l’objet, soit de factures de carburant soit d’une évaluation sur la base des barèmes fiscaux (arrêté du 26/02/2015 fixant le barème forfaitaire), et celle–ci doit être inscrite dans les « dépenses payées par le mandataire financier »9.

Ainsi la déclaration, sur la base du barème kilométrique, dont le calcul, il est vrai, inclut un facteur d’amortissement du véhicule, conformément à l’article 6 B de l’annexe IV du CGI10 n’est-il qu’une faculté au profit du candidat, ouverte pour des raisons comptables, et non parce que le coût de l’usage du véhicule personnel devrait être pris en compte dans les dépenses de campagne. La dépense de carburant exposée dans le cadre de la campagne n’étant pas payée, même indirectement, par l’IRFM, le candidat peut donc opter pour l’imputation au compte de campagne des seuls frais d’essence. Si les factures n’ont pas été conservées, l’exigence d’exhaustivité du compte conduit à retenir le barème kilométrique, mais on doit considérer que l’amortissement du véhicule n’entre cependant pas dans la dépense de campagne.

Toute autre solution conduirait tout parlementaire, candidat à n’importe quelle élection, à laisser au garage un véhicule acheté par l’IRFM le temps d’une campagne, et soit à utiliser un autre véhicule personnel, soit à louer un véhicule11 ou encore à envisager de rembourser à l’assemblée dont il est membre une somme correspondant à l’amortissement du véhicule utilisé pendant la période électorale et acheté avant celle-ci par l’IRFM. Cette solution, qui porterait souvent sur des sommes minimes, est démesurément complexe, voire impossible à mettre en œuvre, d’autant qu’elle ne s’applique qu’aux dépenses exposées en vue de l’élection. Elle peut s’appliquer sans difficultés à des achats précis de biens « en vue de l’élection », on songe à des clichés photographiques, mais plus difficilement à des biens acquis par un financement forfaitaire.

Les choses changeront sans doute sur ce point si ce caractère forfaitaire est abandonné au profit d’un système de remboursement a posteriori, comme cela est prévu par le projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique12. Il n’est pas envisageable en effet que la même dépense soit remboursée deux fois. Mais faudra-il pour autant interdire au candidat d’imputer à son compte de campagne l’utilisation à des fins électorales de son véhicule uniquement par ce qu’il aura été acquis au moyen de l’IRFM, dès lors qu’aucun remboursement ne serait présenté au titre des frais de mandat pendant la période électorale ? Et si la réponse était positive, s’appliquerait-elle aussi, par exemple, aux équipements informatiques, aux frais d’habillement, ou à une formation ?

L’objet général de la loi vise justement, dans un souci d’égalité entre les candidats, à prohiber le don émanant d’une personne morale – et impose l’exhaustivité et la transparence comptable. La disposition spécifique de l’article L. 52-8-1 du Code électoral, prohibant l’usage même « indirectement » de l’IRFM à des fins électorales n’en est qu’une précision. Elle ne vise pas pour autant à prohiber l’usage d’un bien déjà utilisé de façon courante par le candidat antérieurement à la campagne, même si ce bien a été acquis dans le cadre de l’exercice d’un mandat. Poussée à l’excès de sophistication, l’interdiction de financement « indirectement », qui ne s’applique pas aux biens mais à l’origine des fonds, et la nécessaire dissociation de l’élu et du candidat aurait des effets… excessifs.

Notes de bas de page

1 –

Cons. const., 1er mars 2013, n° 2013-4793 : v. Biroste D., « L’interdiction de financer une campagne électorale avec l’IRFM », LPA 12 juill. 2013, p. 22 à 30.

3 –

Le bureau rappelle que la loi ou la jurisprudence prohibent déjà certains usages de l’IRFM : utilisation par un candidat pour sa campagne électorale, dons à des œuvres ou cotisation à un parti politique. Le Bureau a décidé qu’est désormais interdite aussi l’imputation sur l’IRFM de toute dépense afférente à une nouvelle acquisition de biens immobiliers, qu’ils soient destinés à héberger la permanence ou à tout autre usage. Le bureau a retenu une liste de 5 grandes catégories de dépenses autorisées : – frais liés à la permanence (à sa location comme à son fonctionnement) et à l’hébergement du député ; – frais de transport du député (dont acquisition et utilisation d’un véhicule) et de ses collaborateurs ; – frais de communication ; – frais de représentation et de réception ; – frais de formation du député et de ses collaborateurs ».

4 –

I. « – Peuvent être imputés sur l’indemnité représentative de frais de mandat :

5 –

Rapp. du 18 févr. 2015, p. 32.

6 –

Il s’agit évidemment du véhicule personnellement utilisé par le parlementaire, ce qui écarte l’application de l’abondante jurisprudence sur l’usage de véhicules propriété de personnes morales distinctes du candidat : CE, 27 févr. 2013, n° 363933 (ECLI:FR:CESJS:2013:363933.20130227) : « Il résulte de l’instruction que, par décision du 21 septembre 2011, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne de M. B., candidat à l’élection cantonale générale des 20 et 27 mars 2011 dans le canton de Marmoutier (Bas-Rhin), au motif que la contribution financière apportée à sa campagne électorale par la société Alsace maintenance SARL, était contraire aux dispositions de l’article L. 52-8 du Code électoral ; qu’il est constant que cette société, dont M. B. est le dirigeant, a mis à la disposition de ce dernier, durant la campagne électorale, deux véhicules ainsi que plusieurs salariés chargés, sur leur temps de travail, du collage des affiches électorales ; que ces prestations doivent être regardées comme des dons d’une personne morale au sens de l’article L. 52-8 du Code électoral ; qu’il s’ensuit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques était fondée à rejeter le compte de campagne de M. B. ».

7 –

CE, 26 janv. 2007, n° 279111 : « Considérant que M. A. a inscrit dans son compte de campagne, au titre des dépenses réglées directement par le candidat, une somme de 2 137 € correspondant, à des frais de déplacement, pour un montant de 1 927 € ; que cette dernière somme résulte de l’évaluation par M. A. du coût de l’utilisation de son véhicule personnel et a été calculée, ainsi que l’autorise la commission, sur la base du barème kilométrique admis par l’administration fiscale, lequel prend en compte, outre la consommation de carburant, des éléments tels que la dépréciation du véhicule, ses frais de réparation et d’entretien, les dépenses de pneumatiques, la prime d’assurance, etc. ; qu’elle correspond donc, en application des dispositions précitées de l’article L. 52-12 du Code électoral, à l’estimation par le candidat d’un concours en nature dont il a bénéficié et ne peut dès lors être regardée comme une dépense payée directement par ce dernier, en méconnaissance de l’obligation de recourir à son mandataire ; que c’est donc à bon droit que le tribunal administratif de Strasbourg a retranché les frais de déplacement ainsi évalués des dépenses électorales réglées directement par M. A., en ramenant leur montant à 210 € ; que ce montant est faible (3,08 %) par rapport au total des dépenses du compte de campagne du candidat et négligeable (1,28 %) au regard du plafond des dépenses autorisées ».

8 –

CE, 7 mai 2009, n° 323561 : « Une dépense de 5,20 € de lavage de véhicule ne constituant pas des dépenses engagées en vue de l’élection au sens de l’article L. 52-12 du Code électoral, il y a lieu de rectifier la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques… En revanche, il ne résulte pas de l’instruction que les autres dépenses, d’ailleurs inscrites à son compte de campagne par le candidat lui-même, et correspondant à des frais de réception de militants et à des frais de carburant, n’auraient pas été exposées en vue de son élection » ; il en va de même (CE, 30 nov. 2005, n° 273319) : « des frais de lavage de véhicule, pour un montant de 75 €, ainsi que de divers frais de garde-robe d’un montant de 1 013 €, dont il n’est pas établi qu’ils auraient été exposés pour la campagne électorale de l’intéressée » qui sont exclus des dépenses de campagne.

9 –

En l’absence d’un tel défraiement, ces dépenses seront considérées comme des concours en nature du candidat ou de personnes physiques. Dans tous les cas, ces frais doivent obligatoirement être justifiés par un état détaillé de ceux–ci. Cet état doit indiquer : la date de chaque déplacement ; les lieux de départ et d’arrivée ; l’itinéraire, le nombre de kilomètres effectués ; l’auteur et l’intérêt électoral du déplacement (le candidat doit joindre une copie de la carte grise du ou des véhicules utilisés). Concernant les dépenses liées aux frais d’autoroute, elle relève de l’appréciation de la commission. Il conviendra en outre de joindre les tickets justificatifs distribués par les automates ».

11 –

Cet excès de scrupules, dans ce cas, aura une incidence négative sur les finances publiques : le montant du remboursement forfaitaire augmentera d’autant.

12 –

Texte adopté au Sénat à l’article 7 : Doc. Sénat n° 113 « Le bureau de chaque assemblée, après consultation de l’organe chargé de la déontologie parlementaire, définit les conditions dans lesquelles les frais de mandat réellement exposés par les députés et les sénateurs sont directement pris en charge par l’assemblée dont ils sont membres ou leur sont remboursés dans la limite de plafonds qu’il détermine et sur présentation de justificatifs de ces frais. Cette prise en charge peut donner lieu au versement d’une avance. »

1° Les frais liés à la permanence et à l’hébergement du député ;

2° Les frais de transport du député et de ses collaborateurs ;

3° Les frais de communication ;

4° Les frais de représentation et de réception :

5° Les frais de formation du député et de ses collaborateurs.

II. – Aucune dépense afférente à l’acquisition d’un bien immobilier ne peut être imputée sur l’indemnité représentative de frais de mandat ».


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